La Fondation Thalie promeut des pratiques artistiques pluridisciplinaires, notamment le dialogue transverse entre les arts visuels, les savoir-faire et l’écologie. L’exposition Warché « chantier » en arabe, invite à travers l’architecture et les arts visuels à penser notre rapport au temps comme témoin de notre passage sur terre.
Elle prend sa source dans l’histoire de Beyrouth, se poursuit dans la cité romaine engloutie de Baiae et les architectures géométriques arabes où nous devenons simultanément les témoins d’un monde futur, contemporain et passé. L’exposition présente en particulier un chapitre de l’histoire personnelle de Lina Ghotmeh, architecte originaire de Beyrouth qui se définit comme archéologue du futur « puisant dans le passé pour écrire l’avenir ». Deux artistes contemporaines l’accompagnent dans cette recherche : Emilija Škarnulytė, lituanienne, dont la pratique engage une réflexion sur la perception du temps géologique et son influence sur l’Histoire, notamment l’inscription dans la terre des grands conflits, elle-même confrontée aux explorations de Sara Ouhaddou, française d’origine marocaine, sur l’histoire des constructions et des pertes d’identités architecturales.
Lina Ghotmeh a conçu son métier d’architecte en relation avec la ville de Beyrouth : « Après la guerre, il y a eu une intense période de reconstruction. La ville a été éventrée et déconstruite pour se reconstruire. Elle est devenue comme un terrain à ciel ouvert, un champ complètement vierge, et en même temps, toute son histoire émergeait : la ville des Phéniciens, la civilisation gréco-romaine, etc. Elle a été détruite et reconstruite sept fois… J’étais simplement attirée par la matière, le sol, par l’histoire du terrain. J’ai commencé à penser l’architecture comme un rapport permanent à l’histoire, aux vestiges du passé et au sous-sol.»
Ici, l’architecte investit le sol de l’espace de l’atelier avec un tapis de briques issues de productions locales, une démonstration de son engagement pour ce matériau biosourcé et pour l’architecture de terre, tradition qui date de plusieurs millénaires, notamment dans les pays du Proche-Orient et du bassin méditerranéen.
En parallèle, Emilija Škarnulytė apparaît comme une intermédiaire entre la nature et la technologie, entre des créatures humanoïdes ou non. La vidéo à la fois sonore et immersive « Sunken Cities » confronte des structures désaffectées enveloppées de mythes, marquées par la décadence, notamment ici avec une figure de sirène jouant un rôle de contre-mythe. Son œuvre donne l’impression d’explorer des villes englouties avec une vision rétrofuturiste de notre planète, perspective d’un autre temps, dans laquelle la race humaine aurait disparu et où la nature aurait repris ses droits ; Ou comme le souligne Škarnulytė : « Les ruines de l’activité humaine sont vues depuis un futur lointain. »
S’inscrivant dans un constant dialogue entre tradition et modernité, Sara Ouhaddou, récupère des plans de dessins de géométrie islamique et les déconstruit afin de créer un alphabet géométrique.
Par ce processus, elle s’inspire d’architectures, de l’écriture arabe ou de symboles berbères issus de l’artisanat et dévoile ici une nouvelle série de collages créés à partir d’images de fragments de ciel. L’archéologie est ici prise dans les lignes d’une ambivalence disparition/apparition, exaltant l’émergence d’une trace, réelle ou fictive.
L’artiste poursuit ses recherches sur l’histoire des alphabets, révélatrice de celle des identités et des développements successifs d’une civilisation avec l’installation “Je te rends ce qui m’appartient / Tu me rends ce qui t’appartient”, installation réalisée en savon de Marseille, descendant direct du savon d’Alep : des corps étrangers, des ossements en céramique provenant d’objets excavés, y apparaissent collés. Ces colonnes, à la fois organiques et minérales, sont constituées des savoirs échangés au Moyen Âge entre le monde arabo-andalou et Marseille. Ils témoignent de l’intérêt de l’artiste pour les histoires peu connues et les objets trouvés dans les différentes fouilles archéologiques de la cité et ses alentours, qui introduisent un doute ou déconstruisent les histoires complexes de la ville.
L’exposition Warché montre ainsi ces témoins que la terre fait de nous et la responsabilité de nos interprétations, tant politiques que poétiques.
Anissa Touati, commissaire de l’exposition
INFORMATIONS PRATIQUES
Exposition du 8 septembre au 10 décembre 2022
Du mercredi au vendredi de 12h à 18h, le samedi de 11h à 18h
Entrée 5€ / Gratuité* (sur présentation d’un justificatif)
*Étudiants, enseignants, -26 ans, demandeurs d’emploi et membres SMART
Visite commentée chaque mercredi et samedi à 15h, et gratuité de l’exposition chaque premier samedi du mois.
Retrouvez en ligne notre programme d’événements autour de l’exposition, avec une table-ronde exceptionnelle en partenariat avec le CIVA le 26 novembre et le finissage de l’exposition avec le 10 décembre avec une performance sonore de Tarek Atoui.
En partenariat avec Brussels Design September