






Arles
Géologie des âmes
« Il nous faut apprendre à lire ce qui pousse entre les ruines. » — Anna Tsing
Cartographies artistiques du vivant, de la mémoire et de la résistance. « Géologie des âmes » explore l’idée que nos subjectivités sont aussi stratifiées que la géologie terrestre. Chaque strate – traumatisme, héritage, réparation – laisse une empreinte. Les œuvres rassemblées ici racontent des récits ancrés dans la terre, les corps, les forêts, les archives. Entre mythe et mémoire, l’exposition articule les voix d’artistes issu·e·s de divers horizons. De l’Anthropocène aux rituels forestiers, des portraits intimes aux luttes décoloniales, chaque œuvre devient espace de récit et de réparation. Inspiré·e·s par Achille Mbembe, ces artistes interrogent : comment habiter un monde abîmé ? Et comment tisser d’autres liens avec le vivant, les oubliés, les absents ?
Strates du vivant : contempler, archiver, résister
Ce premier mouvement examine l’impact humain sur la planète à travers une lecture sensible de l’Anthropocène. Les œuvres cherchent à réenchanter le monde par l’observation, l’archive et la mise à distance poétique.Anaïs Tondeur documente les zones irradiées de Tchernobyl par des cyanotypes réalisés avec Michael Marder et Martin Hajduch. Elle dialogue avec Hiroshi Sugimoto, dont les images désertiques témoignent d’une civilisation en ruine. Stefan Sehler, quant à lui, brouille les frontières entre photographie et peinture, interrogeant nos représentations du réel. Ensemble, ces artistes évoquent les « Anthropocènes fragmentés » d’Anna Tsing.
Forêt, animalité, rituels : le vivant sacré
Ce chapitre explore le lien spirituel et rituel avec la nature. Forêts, rituels et animalité deviennent des figures de transformation, de perte et de reconnexion. Rikuji Suzuki convoque l’animisme shinto dans une forêt primaire. Albarran Cabrera, avec des images imprimées sur papier gampi, évoque une beauté suspendue. Nicolas Floc’h révèle des paysages marins immergés, tandis que Noémie Goudal déconstruit nos perceptions du naturel. Adrian Paci met en scène des gestes de l’exil empreints de sacré archaïque. Claudine Doury photographie les rituels de passage en Sibérie, entre douceur et rudesse. Jörg Bräuer, Gerard Traquandi, Giovanni Ozzola ou Karine Rougier explorent chacun à leur manière la dimension sacrée du vivant. Ensemble, ils prolongent les réflexions de Philippe Descola et Baptiste Morizot sur nos alliances interespèces.
Intermezzo : Portraits, disparitions, apparitions
Espace suspendu, ce moment propose une traversée introspective du portrait et de la mémoire. Jean-François Jaussaud photographie Louise Bourgeois dans son atelier. Francesca Woodman, Agnès Geoffray ou Justine Tjallinks évoquent corps effacés, conflits intérieurs, éclats de lumière. Rina Banerjee et Karine Rougier abordent les liens invisibles entre humain et non-humain, entre rite et présence. Ce sont des œuvres où la subjectivité devient strate intime.
Territoires de mémoire : récits postcoloniaux et subjectivités du Sud global
Ce dernier chapitre se penche sur les mémoires coloniales, diasporiques et féminines. La géologie y devient archive de luttes, de résistances, de survivances. Monica de Miranda explore la mémoire postcoloniale entre Afrique et Europe. Raphaelle Peria interroge les ruines du Cambodge. Solange Pessoa, avec des pigments naturels, exprime un lien animiste à la terre. Wallen Mapondera tisse des récits communautaires à partir de matériaux de rebut, en écho aux pensées de Arturo Escobar. Lucia Pizzani, par le corps et la performance, célèbre les savoirs transmis. Zanele Muholi réinvente l’autoportrait comme réappropriation queer et noire. Sama Alshaibi incarne l’exil et les identités effacées. Enfin, Hector Zamora, avec Movimientos emisores, renverse la symbolique du portage pour interroger la place des femmes et la charge collective. Une sculpture biomorphique d’Alma Allen posée au centre de la pièce ferme ce parcours comme un talisman silencieux.
Réparer les strates, faire récit
À travers paysages, gestes et visages, Géologie des âmes pose cette question : comment raconter un monde abîmé sans s’y perdre ? Comment relier les silences, les ruines, les espoirs ? Ces œuvres forment une constellation de récits où le vivant, le politique, le mythe et l’intime s’entrelacent. Comme l’écrit Anna Tsing, « nous devons apprendre à vivre avec les ruines, à écouter ce qui pousse entre elles, à faire récit avec l’incertain. »
Texte et curation : Nathalie Guiot
Avec les oeuvres d'Alma Allen, Sama Alshaibi, Rina Banerjee, Jörg Bräuer, Albarran Cabrera, Mathilde Cazes, Monica de Miranda, Claudine Doury, Nicolas Floc'h, Agnès Geoffray, Noémie Goudal, Jean-François Jaussaud, Wallen Mapondera, Zanele Muholi, Giovanni Ozzola, Adrian Paci, Raphaëlle Peria, Solange Pessoa, Lucia Pizzani, Karine Rougier, Hiroshi Sugimoto, Risaku Suzuki, Anaïs Tondeur, Gérard Traquandi, Francesca Woodman et Héctor Zamora.
Oeuvres in situ de Sylvie Auvray, Rina Banerjee, Victor Cadene, Adrien Vescovi.
Aleor Craft & Bio-design, la galerie initiée par Nathalie Guiot en 2024, propose une curation autour de la démarche de Juliette Rougier, de sa relation à la ‘collection' et au territoire de la Méditerranée.
Pop-up céramique avec les créations de Beatriz Horta Correia, Graça Pereira Coutinho, Valérie Mannaerts et Suuz Studio.
Exposition du 8 au 25 juillet 2025 / Fondation Thalie, Arles





