
Résidences 2024 à la Fondation Thalie
Imaginaires écologiques
Jasmine Baume et Byron Gago, Younes Ben Slimane, Simon Boudvin, Victoire Gonzalvez, Marie Ouazzani & Nicolas Carrier, Anna Tomaszewski
Dans un entretien récent, Isabelle Stengers suggère qu’il existe une différence essentielle entre le fait de penser (à) l’écologie et celui de penser de manière écologique : dans le premier cas, on pense au monde, comme en s’en extrayant, à distance; dans le second, on pense ensemble, depuis le milieu, avec ce qui nous entourent. L’intelligence écologique, pour la philosophe, est une intelligence nécessairement collective. Elle se forme dans un écosystème, s’engage dans une action, une forme d’échange entre les acteur*ices à l’oeuvre — à travers les milieux et entre les disciplines, entre celleux qui étudient et leur sujets, dans la relation active et ouverte entre les humains et les non-humains.
Le programme 2024 des residences de la Fondation Thalie a été pensé dans une perspective comparable. Les six participant*es, individuel*les ou collectif*ves, ont été sélectionné*es en raison de la manière dont leur travail reflète les capacités des pratiques artistiques contemporaines à tracer une perspective autre sur les questions écologiques, les engagements durables et circulaires, les pratiques régénératives. Leurs démarches, inscrites dans les mondes de la création au sens le plus large possible articulent, à l’intérieur de leurs projets et dans leurs méthodes de travail, différentes disciplines. Ces dernières tracent un réseau, dans ce cas précis, qui relie les arts visuels au droit environnemental, le design à la botanique en passant par le cinéma, la restauration ou l’écriture. Les invité*es du programme de résidences 2024 avaient en commun de situer leur projet à Bruxelles ou dans ses alentours immédiats. Dans cet espace au sein duquel leur recherche pouvait se développer, ils et elles pouvaient dès lors travailler depuis une situation écologique spécifique. Et, une fois que les acteur*ices de leur enquête étaient identifié*es, entamer la coopération nécessaire à la production des imaginaires écologiques concernés.
C’est probablement dans dimension active de ces recherches que réside leur caractère écologique. Elles ne nécessitaient, souvent, que peu de moyens techniques, qu’elles ont même souvent recyclé, transformé. Elles demandaient, surtout, un espace, du temps et des personnes. Les recherches avaient commencé avant Bruxelles, se sont aussi développé en parallèle, dans d’autres contextes. Elles continuent aujourd’hui ailleurs et autrement. Très différemment d’une exposition, qui cristallise souvent la pensée dans un espace, un objet fini, un temps figé — pour parfois être déplacée, remontrée, rejouée dans une autre institution — ce que génère une résidence, c’est de la vie, de l’inconnu, un processus. Et des liens. C’est à cet endroit que les résidences 2024 de la Fondation Thalie rencontrent à nouveau la définition de l’écologie d’Isabelle Stengers : les relations qui se sont nouées cette année, les coopérations avec des espaces, un esprit, des personnes, des choses, des savoirs, des vivants, si elles se sont incarnées et intensifiées à un moment à Bruxelles, vont probablement être emmenées aujourd’hui dans d’autres contextes, où elles continueront de se développer. Demain, elles se prolongeront encore autrement, au contact d’autres milieux. Sans que nous puissions encore l’imaginer. Car une résidence, lorsqu’elle est réussie, je le crois, se doit de (se) permettre cette liberté.
Yann Chateigné Tytelman
Intervenants
Yann Chateigné Tytelman est auteur et curateur ; il vit à Bruxelles. Il a été conseiller artistique et chercheur en résidence à MORPHO, Anvers ; curateur à Kanal – Centre Pompidou, Bruxelles (2019–2021) ; responsable du Département Arts Visuels de la HEAD – Genève (2009–2017) et de la programmation au CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux (2007–2009). Il a récemment (co-)organisé les expositions et projets “Four Sisters” (Musée Juif de Belgique, Bruxelles, 2023), “A Glittering Ruin Sucked Upwards” (HISK, Bruxelles, 2022), “How to be Organic?” (Country SALTS, Bennwil, 2022), “It Never Ends” (Kanal, Bruxelles, 2020–2021) et “Gordon Matta-Clark: Material Thinking” (Centre Canadien d’Architecture, Montréal et Museum der Moderne, Salzburg, 2019–2021). En tant qu’auteur, il a entre autres contribué à Conceptual Fine Arts, Mousse et Spike, et a coédité “Almanach Ecart. Une archive collective, 1969–2019″(HEAD – Genève/art&fiction, 2019). Il vient de publier “Blackout”, un ouvrage réalisé à l’invitation du Centre d’Édition Contemporaine de Genève (2023) et disponible aux Presses du réel.