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Résidence de recherches
Simon BOUDVIN
Arts visuels & écritures créatives
Simon Boudvin dit de lui-même qu’il est un « artiste d’extérieur ». C’est une belle formule, qui peut être comprises de différentes manières. L’artiste travaille sur le terrain : son atelier est, de fait, ce dehors qu’il arpente et où la vie se tisse en plein air. Depuis plus de quinze ans, la pratique de Simon échappe aux catégories, il est un artiste hors-cadre. Il échange et combine constamment les fonctions, artiste, architecte, designer, chercheur, éditeur, auteur, en fonction des besoins et des situations. C’est aussi quelqu’un qui s’intéresse aux détails inaperçus, à ce qui est hors-champ. A partir de là, de cet extérieur, où l’on ne peut pas regarder, l’artiste va commencer à investiguer, creuser, relier. En découle librement, la réalisation de formes diverses et qui alterne, sans hiérarchie, sculptures, installations, interventions publiques, publications, textes, conférences, séminaires. Les enquêtes peuvent prendre comme point de départ une plante dans l’Est parisien, des tabourets dans le Jura Suisse, une échelle de montagne dans les Alpes… et aujourd’hui, les renards bruxellois. La recherche grandit, la méthode connecte et s’anime pour composer, au final, un monde qui nous regarde. En effet, depuis plusieurs années, Simon suit les Vulpes vulpes Bruxellae les Renards roux de Bruxelles. Il documente, au travers de photographies et de vidéos qu’il réalise lui-même ou qu’il collecte auprès d’un ensemble d’allié*es, d’entretiens, mais aussi de récits et d’anecdotes, d’informations scientifiques, de données anthropologiques, historiques et urbanistiques, les interactions entre les habitant*es de la ville et les renards. Acteur à la fois omniprésent et furtif, le renard roux entretien des liens bien connus avec les bruxellois*es. Durant la pandémie de 2020-21, comme dans nombre d’autres villes, à la faveur d’une activité urbaine moins intense, les renards sont soudainement apparus. Où, plutôt, ils ont été (re)vus. La pause imposée a tout à coup ouvert les sensibilités sur un monde et ses sujets qui étaient avaient été rendus invisibles. Les renards sont venus à la rencontre des habitant*es, marchaient à leur côtés sur le trottoirs, sur les passages piétons. A la nuit tombée, semblant curieux d’en savoir plus sur nous, les renards s’approchaient des quelques humains encore dehors. En pleine jour, au hasard d’une rue, certain*es ont même pu voir des citadin*es nourrir des renards. Il y avait quelque chose d’étrange, et fascinant, dans ces liens inattendus entre les humains et non-humains, entre les mondes, diurnes et nocturnes.
Simon voulait en savoir plus sur la façon dont les renards vivent en ville, un milieu qui n’est pas originellement le leur, mais qui représente l’espace qui leur reste après l’abattage massif dont leur population a souffert, et qui a culminé au début de l’ère moderne. Cette chasse systématique reposait sur l’accusation portée à l’encontre de l’espèce (probablement à tort, d’ailleurs) de propager l’épidémie de rage. Cette contamination historique, qui tend par ailleurs un étrange miroir à notre époque, s’est propagée l’échelle de toute Europe. Malgré la chasse intensive qui continua jusqu’aux années 1990, les renards roux ont survécu, et avec la diminution de l’hostilité humaine, le Vulpes vulpes s’installa dans les villes européennes. Mais si les renards cohabitent, c’est discrètement qu’ils mènent leur vie dans le milieu urbain. Pour pouvoir les observer, Simon a fait appel aux personnes qui travaillent la nuit (conducteurs de bus et de tram), à celles qui les côtoient (fossoyeurs, par exemple), ou encore aux propriétaires des jardins dans lesquels les renards viennent parfois sans crier gare faire la sieste, des chats dont ils viennent manger les croquettes en silence, ou des poubelles qu’ils dévorent dès que nous nous assoupissons. Simon rappelle qu’en septembre 2022, un journal bruxellois a rapporté qu'un renard était monté dans un bus : en résulte une oeuvre en forme de diaporama, qui décrit, par le biais d’une enquête photographique et d’un texte un milieu hybride. Chaque cliché est situé (avec mention de l’adresse) et daté. Toutes les images sont légendées en surimpression, dans le souci de partager quelque chose de l’ordre du document. Pour autant, se dégage le sentiment de l’émergence d’un nouveau type de ville, où les espèces coexistent et s’adaptent au point que nous, humains, semblons devenir les sujets des non-humains qui s’adressent à nous. Dans l’oeuvre de Simon, les renards se mettent à écrire et à nous dire, enfin, ce que nous pourrions apprendre « si on leur posait les bonnes questions » pour reprendre la formule de Vinciane Despret. Il s’agit ici, pour l’artiste, de rendre compte d’un passage de frontière, d’un pont — écologique, politique et poétique —entre nos existences et le règne du monde sauvage.
Vulpes vulpes Bruxellae de Simon Boudvin est actuellement présenté dans le cadre de l’exposition collective Undo Planet au Art Sonje Center (Séoul, Corée) jusqu’au 26 janvier 2025.
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Simon Boudvin est artiste et enseignant. Il a étudié à l'École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris dans l'atelier de Giuseppe Penone et à l'École d'architecture de Paris-Malaquais. Après avoir enseigné dans différentes écoles d'art, d'architecture et de paysage, il rejoint en 2018 l’École nationale supérieure de Paysage à Versailles. Artiste de terrain plutôt que d'atelier, il développe un travail dans le cadre d'expositions, de collaborations, de publications qui restituent le fil de ses recherches. Chacune de ses productions découle depuis l’exploration d’un territoire. C’est là une des particularités du travail de cet artiste qui veille à ne jamais travailler hors-sol.
Il utilise la photographie, le texte et la sculpture dans une méthode documentaire originale qui combine l'inventaire et la narration. Parmi ses publications récentes, citons "Superkyoto" (Dooks, 2024), "Motivi" (Roma Publications, 2023), "Oise" (Building Books, 2022), "Bote-chu & Sèllatte" (art&fictions, 2022), "Ailanthus Altissima" (B42, 2021) et "Un Nouveau Musée" (MER./Accattone, 2019).
Les artistes étaient accompagnés par Yann Chateigné Tytelman, commissaire invité des résidences 2024.