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Résidence de recherches
Victoire GONZALVEZ
Arts visuels & écritures créatives
Victoire Gonzalvez étaient venue dans l’idée d’enquêter sur l’usage du carton-pierre à Bruxelles. L’artiste avait en effet découvert que cette technique de décoration d’intérieure, très en vogue dans la ville tout au long du XIXème siècle, a été depuis oubliée. Le carton-pierre servait à réaliser des moulures, des éléments d’architecture mais aussi des sculptures à moindre coût. Remplacée par le stuc ou le staff qui sont encore pratiqués aujourd’hui, cette méthode avait pourtant, du fait de sa composition mêlant papier, colle et poudre de pierre, un réel potentiel écologique. Dans ses sculptures, ses performances et ses textes, Victoire s’intéresse à la manière dont notre environnement matériel, architecture, objets, textures, corps, odeurs, images, reposent sur une enchevêtrement de choses réelles et de simulacres : artificiel, reproductions, factice se propagent, remplacent et se diffusent, cohabitent, questionnant la relation que nous entretenons avec le vivant, renvoyant à la question du contrôle des existences et des normes. En s’inspirant de techniques de copie issues du monde du cinéma, de l’architecture d’intérieur et du design, l’artiste entreprend une entreprise de déconstruction visuelle, perceptuelle, sensorielle des stéréotypes — de genre, d’identités, de milieu, de préférence — liés aux choses qui nous entourent. Elle fabrique des situations perceptives ambiguës, des travaux hybrides à la matérialité insaisissables, des scénarios plaçant la personne qui observe dans la position d’inventer les modalités de sa propre relation avec les formes qui lui font face.
A Bruxelles, Victoire a commencé par enquêter, compulsant les archives, questionnant des historien*nes de l’architecture, observant les ateliers de restauration, de décoration. Son but était d’écrire (ou de réécrire) une recette du carton-pierre. C’est dans la recherche des gestes et des composants, dans l’immersion, quasiment expérimentale dans la technique, que lui est alors apparue un détail éclairant : certain*es artisan*es disaient avoir ajouté du sucre dans le mélange pour en améliorer les performances. Des lors, des ornements excessifs des demeures bourgeoises à l’art illusionniste de la patisserie, le glissement était tentant. La recherche opérait par association. L’artiste réalisait aussi à quel point la technique du carton-pierre était genrée, transmise dans le cadre d’entreprises familiales, « de père en fils ». En proposer une traduction douce et sucrée, cuisinée et « mangeable », était une manière d’en subvertir la dimension patriarcale. En écrivant, a proprement parler, la recette de sa moulure pâtissée, Victoire réalisait un autre glissement, une autre interprétation : la dimension sensuelle venait se substituer à la froideur objective du plâtre d’imitation. Elle commençait à noter ses idées, ses sensations. À se rendre compte qu’il y avait probablement un lien entre l’architecture d’apparat et la politique des corps. Que son projet faisait apparaître ce qui se tissait dans mais aussi derrière le décor ostensible, entre le vocabulaire rendu public de la maison et l’écriture intime de ce qui est domestique et caché. Peut-être dans la cuisine, même, dans l’espace « réservé » aux femmes, aux subalternes. Dans la tension entre la norme et le désir, le régime et le plaisir. C’était donc véritablement une recette, plus qu’un procédé, au sens culinaire, peut-être, vers laquelle l’enquête pointait. Non plus de construction en faux plâtre, mais un mode d’emploi de démantèlement du décor. Une manière, poétique, politique de se l’approprier, et par ingestion, d’en digérer, avec humour, l’autorité.
Du 14 mars au 6 avril 2025, Victoire Gonzalvez présente Coco Sour à la Galerie Jean-Collet (Vitry-sur-Seine, France), sur une invitation de Thomas Lemire.
Victoire Gonzalvez (1997, France) est une artiste, performeuse et auteure française. Son travail révèle l'absurdité de nos normes sociales par son sens de la matérialité, de la poésie et son intérêt théorique pour la standardisation de nos espaces de vie et l’influence de ce phénomène sur nos pratiques quotidiennes. Après un cursus à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris, elle développe une pratique artistique basée sur les étapes de fabrication de simulacres dans la sphère industrielle. Cette recherche évolue également par le biais de l’enseignement à la Staatliche Akademie der Bildenden Künste de Stuttgart. Ses œuvres ont été exposées dans plusieurs institutions en France et en Allemagne.