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Résidence de recherches
Younes BEN SLIMANE
Arts visuels & écritures créatives
Faire l’expérience des travaux de Younes Ben Slimane, c’est s’exposer au trouble que génère leur caractère indécidable : mélanges stratifiés de documentaire et de fiction ; hybrides, entre films, installations et constructions… ils dessinent des géographies complexes, sensibles, bouleversées, sont des sortes de poèmes fait presque uniquement d’images. Ils relient librement des points, des récits dans l’espace et dans le temps, composant, à la frontière du visible, des histoires matérielles. Formé à l’architecture et au cinéma, l’artiste tunisien produit des oeuvres pensées comme des espaces, des zones à arpenter qui se déplient physiquement, visuellement, patiemment, dans le temps, devant les yeux de la personne qui regarde. We knew how beautiful they were, these islands (2022) est un film au sujet d’un lieu, ou plutôt de l’esprit — des esprits — d’un lieu, le « cimetière des inconnus », dans la ville de Zarzis. Là, au bord de la mer, un homme donne une sépulture aux personnes disparues, durant leur tentative de traverser la Méditerranée. A partir de l’enregistrement des lieux et des matières, des corps et des gestes qui produisent les paysage, les espaces se tissent, réels ou remémorés, lieux re-filmés, ré-imaginés. En 2025, Images de Tunisie constitue une tentative de contre-ethnographie. Pour ce film, Younes a identifié les lieux que Les Actualités Françaises — l’organe d’information émis par la France au sujet de la Tunisie occupée — avaient filmé les villages de Matmata, Douiret et Tameghza dans le Sud du pays, et documenté ces paysages et ses habitant*es, aujourd’hui et selon une perspective radicalement différente. A la distance « objective » des images coloniales, l’artiste oppose une immersion (é)mouvante, instable, dans les éléments, aux stéréotypes de propagande français, il substitue un empirisme visuel, tactile, une curiosité intuitive, sensible — une ouverture à l’inconnu.
Travaillant à son prochain projet, Younes voulait rencontrer des archéologues à Bruxelles. Il avait commencé à s’intéresser à la pratique des potières de Sejnane. Là, dans le Nord de la Tunisie, les femmes travaillent la terre et sculptent l’argile pour réaliser des représentations féminines, dites « poupées ». Le savoir-faire des artistes, également toutes des femmes, repose, selon les mots de Younes, sur leur pouvoir de « canaliser leurs déesses intérieures ». Son souhait était de comparer les différentes technologies à même de façonner les corps, la main des femmes, les reconstructions de synthèse en archéologie, et sa propre caméra. En 2019, déjà, dans All come from dust, Younes avait documenté la production de brique en terracotta dans la ville de Tozeur. En allant filmer la briqueterie traditionnelle dans cette région située dans le désert du Sahara, près de la frontière avec l’Algérie il allait aussi à la rencontre de savoirs inscrits dans des lieux dont sa famille est originaire. L’artiste avait été frappé par la beauté de l’architecture vernaculaire, et la puissance émotionnelle qui se dégage du matériau issu de la terre et de la poussière, comme une manière de refléter, aussi, une forme de résilience et de lien physique avec le paysage, comme une image symbolisant une possibilité, celle de reconstruire un monde à partir des ruines.
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Younes Ben Slimane (1992, Tunisie) est un artiste, cinéaste et architecte tunisien. En 2020, il intègre le Fresnoy - Studio National des Arts Contemporains, à Tourcoing. Il a participé à des événements d'art contemporain tels que Jaou Tunis et Documenta fifteen mobile Lab, Loop Barcelona. Son travail a été exposé au Centre Wallonie-Bruxelles, Institut du monde arabe à Paris, au Mucem à Marseille, à la galerie Selma Feriani à Sidi Bou Saïd, et au Musée d'art contemporain de Skopje. Ses films ont été sélectionnés dans des festivals internationaux tels que Locarno Film festival et CPH:DOX, Doclisboa. En 2021, il reçoit le prix Studio Collector.
Les artistes étaient accompagnés par Yann Chateigné Tytelman, commissaire invité des résidences 2024.